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  • Mathilde Bourmaud

Jessy, 32 ans " Ce sont les actes qui font foi"


Rue de l'Ourcq - Paris 19ème

Si la ville est le miroir de notre société et les murs ses traits qui l’ont dessinée, Jessy, 34 ans alias Doudou Style tente d’en retracer certains contours depuis une dizaine années. Un enjeu personnel et artistique devenu un métier pour l’artiste qui voit en ces lieux et leurs murs, les vestiges du temps et les témoins de vie qui passent. Aux abords du canal de l’Ourcq, un des temples du graff, LES AMBITIEUSES est partie à sa rencontre pour comprendre comment elle a réfléchi et construit sa liberté sur les murs. Un témoignage qui s’inscrit dans une volonté de proposer un autre visage à la ville et sa société. D’en réécrire l’histoire et pourquoi pas demain !

J'ai fait la connaissance de Jessy alias Doudou Style à travers ses peintures, ses graffs qu'elle essaime et propose sur les murs. Ces fétiches pandas tout d'abord. Puis ces femmes, jeunes et moins jeunes, qu'elle peint dans des postures lascives ou combatives, des courbes chaleureuses voire énigmatiques. En m'y arrêtant, pour m'en imprégner, j'ai voulu savoir qui se cachait derrière cette intention et sa signature. J'ai voulu prendre connaissance de son parcours. Savoir ce qui avait amené l'artiste et la femme à investir les murs plutôt que des toiles. J'ai voulu découvrir un milieu et son environnement. Appréhender la ville à travers un prisme, celui de l'artiste graffeuse qui conquiert délibérément l'espace public aux yeux de tous. Pour tous. J'ai donc fini par rencontrer Jessy à la sortie du RER, Gare du Nord. Ce même RER qui l'amenait, dix ans plus tôt, sur la voie du graffiti et ses murs.

"J'ai voulu savoir ce qui avait amené l'artiste et la femme

à investir les murs plutôt que les toiles."

Le regard franc et souriant, la parole sincère, Jessy me déroule sa vie au fil de ses graffs et de ses aventures pour y accéder. Comme si peindre lui avait permis d'en exorciser certaines. Comme si peindre lui avait permis d'y (re)trouver son identité. De l'affirmer. De revendiquer sa place dans la société entre ses origines martiniquaises, sa naissance à Paris, son enfance à la campagne et la vie qui va. Un parcours non sans difficultés et sacrifice personnel. Un destin urbain au féminin.

Un outil d'expression voire de revendication

Si le graffiti porte encore en lui les stigmates d'un mode d'expression jugé parfois illégal et misogyne, c'est grâce aux hommes que Jessy en est là aujourd'hui. Attirée par ces espaces d'expression grandeur nature et visibles aux yeux de tous, c'est son petit ami de l'époque qui lui permet d'intégrer un crew d'artistes graffeurs. Bien loin de la peinture sur vêtement qui marque ses débuts ou son école d'art, Jessy y fait ses premiers pas. Sur un petit coin de mur, elle s'essaie. Elle apprend la technique comme les codes spécifiques du milieu. Un milieu ancré dans une contre-culture où faire un pas de côté comme renoncer -juste un instant- peut s'avérer fatidique pour une femme. Mais la personnalité de Jessy est à la mesure de son sourire: conquérante. Elle se tient à une discipline de fer. Elle observe, à l'affût du moindre conseil pour s'améliorer et proposer un travail de qualité à ses comparses comme à la société. Elle sait qu'elle est jugée.

Et générateur de lien social

Car malgré l'accueil des débuts, Jessy n'a pas peur de le dire, il faut s'y prendre avec courage, modestie, recul et réflexion pour se faire une place. Pour se faire un nom en tant que femme et artiste dans les crews et squats qu'elle intègre au fur et à mesure de son parcours, comme dans la rue. Car voir une femme investir un mur, bombe à la main, reste encore peu ordinaire aux yeux d'une société. Mais pour Jessy, le graff est tout autre. Universel. Et parce que ce sont les actes qui font foi et l'intention qu'on y donne, elle persiste en visant l'excellence pour que son art passe bien au-delà du genre, d'une place qu'on voudrait bien lui donner.

"C'est comme si peindre lui avait permis de (re)trouver son identité."

A travailler et instaurer le dialogue face à des stéréotypes de la rue et de la société, comme avec les membres de son crew, son art a fini par payer et devenir créateur de lien social.

Aujourd'hui, sa légitimité et liberté en tant que graffeuse, Jessy les doit à sa témérité comme à celle de ses prédécesseuses. Une philosophie qu'elle essaye de transmettre, à travers les murs, aux femmes mais aussi à la société en général. Un message pour tout à chacun qui oseraient s'arrêter sur une des ses œuvres.

Jessy allait faire partie de l'aventure des Ambitieuses et me donner rendez-vous rue de l'Ourcq, où elle allait faire don à la société d'une nouvelle oeuvre. Un graff qui allait devenir bien plus que des formes et couleurs associées. Il serait la marque sincère d'un message, d'une volonté de ne pas flancher devant le moindre obstacle. Le reflet de son histoire. D'un regard. D'une philosophie de vi(ll)e!

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