top of page
  • Mathilde Bourmaud

"Si les femmes politiques étaient les influenceuses du monde demain … les choses iraient plus vite"


Entretien en trois actes avec Yvette Vigié - Maire de Nabirat


Pour ce premier épisode de la saison 4, on a visé le sud puis poussé jusqu'à Nabirat dans le Périgord Noir. Une commune rurale située en bordure du Lot dans le département de la Dordogne (24).


Yvette Vigié - Madame la maire
Yvette Vigié - Madame la maire de Nabirat

Elle ne compte aucun profil twitter ou Instagram. Son influence politique à elle, se mesure sur le terrain et au nombre des mandats remplis. Six mandats qu’Yvette Vigié tient l’écharpe en bandoulière mais toujours sans étiquette. Une figure aussi rurale que nationale tant l’enfant du village œuvre depuis bientôt trente-deux ans pour sa commune, « sa grande famille » de 387 habitants. Tant du fait qu’à bientôt 88 ans, elle est la doyenne des mairesses en France. Une dernière particularité qui fait autant sourire l’intéressée, qu’elle la balayerait (presque) d’un revers de main.







Yvette Vigié, comment faut-il vous nommer ? Madame le maire ou Madame la maire ?

Madame la Maire et j’y tiens ! J’estime que c’est un signe de respect. Nous sommes des femmes et nous devons être reconnues. On y arrive, mais tout doucement. Il va y avoir 32 ans, en mars, que je suis élue à Nabirat, et je reçois, encore très souvent, le courrier au nom de Monsieur le maire. Et ça, ça me procure un peu de révolte, quand même !


Quel est votre lien à Nabirat ?

Ma famille est née ici. Et je suis née dans ce village. C’est en montant à Paris, à l’âge de 25 ans, en 1958, que je me suis rendu compte de mon attachement toujours plus fort pour Nabirat. Bien que Paris ait été une période extraordinaire, j’ai toujours vécu avec mon village. Je n’ai jamais fait la coupure.



· ACTE 1 – PARIS ET LES BARRICADES


Avant l’ambition politique, la première fut donc celle de la ville ?

J’avais toujours eu envie d’être infirmière. C’était mon vœu le plus cher mais à 14 ans j’ai dû quitter l’école pour travailler avec mes parents à la ferme. Ça a été terrible, j’ai beaucoup pleuré mais c’était comme ça. Puis, je me suis mariée à 17 ans, mon mari et moi vivions et travaillions avec mes parents. A cette époque, pour rentrer dans une école d’infirmière, il fallait être célibataire et avoir de l’argent. Je n’avais rien de tout ça. A 25 ans, une opportunité s’est présentée. L’Assistance Publique permettait de faire des études d’infirmière tout en travaillant. Je suis donc montée à Paris faire une demande et j’y suis restée. Je suis revenue à Nabirat vingt-cinq ans après.


Quel était votre rapport à la politique à cette époque ?

Au début, rien. Les femmes n’étaient pas beaucoup impliquées dans la politique, ni d’ailleurs dans la vie. Lorsque ma mère a voté pour la première fois, je l’ai entendue demander à mon père : « C’est bien notre place d’aller voter mais pour qui vais-je aller voter ? Dis-moi ce qu’il faut que je vote ! ». Ça m’a tellement choquée que j’y ai pensé toute ma vie.


« J’estimais qu’à partir du moment où il fallait travailler, manger, se vêtir, c’était de la politique. Il fallait s’y intéresser ! »

Une fois à Paris, est-ce que les choses ont changé ?

J’ai commencé à m’y intéresser bien-sûr. J’estimais qu’à partir du moment où il fallait travailler, manger, se vêtir, c’était de la politique. Il fallait s’y intéresser ! Et puis, il y a eu 68 et les barricades ! (elle rit). J’y ai participé parce que nous avions une vie épouvantable en bas de l’échelle sociale. Nous étions complètement laissés à l’écart. On nous commandait. On n’avait pas le droit de réplique, on n’avait rien. On n’avait même pas le choix d’abandonner.


« J’étais persuadée que si on s’y mettait ensemble, on pourrait arriver à quelque chose, ne plus être toujours en-dessous de tout. »

Derrière Mai 68, n’y a-t-il pas une autre forme d’engagement sous-jacent à la politique ?

Le féminisme, mais sans politique. Les femmes, nous avions envie de nous bagarrer pour que ça avance. Nous n’avions aucun droit. Nous voulions que notre travail soit reconnu, et surtout qu’en tant que femmes que l’on sache que nous existions. J’ai connu le temps où, si le mari ne voulait pas, la femme n’avait pas le droit de travailler*. J’avais envie de me révolter et que ça change. J’étais dans la rue comme tout le monde ! Ce qui me procurait un sentiment de liberté et de puissance. J’étais persuadée que si on s’y mettait ensemble, on pourrait arriver à quelque chose, ne plus être toujours en-dessous de tout. Après 1970, tout a changé.


Au cœur de ce parcours parisien, y-a-t-il une femme politique qui vous a inspirée ?

J’ai connu la grande Madame Veil que j’ai beaucoup admirée. Il faut voir ce qu’elle a fait pour les femmes. Je l’ai côtoyée une fois. Elle était venue dans le service de l’Assistance Publique où je travaillais et où je m’étais beaucoup bagarrée. Nous avions réalisé des transformations pour l’hospitalisation des enfants et Madame la directrice l’avait invitée. Et c’est là que je ai rencontrée**. Je la vois encore avec les enfants dans les bras. C’est une femme qu’on n’oublie pas. Elle m’a accompagnée toute ma vie.



· ACTE 2 – L’ENGAGEMENT POLITIQUE, LE SEL D'UNE EXISTENCE


Quel a été le déclic qui vous a amenée à vous présenter aux élections municipales de Nabirat en 1989 ?

J’étais redescendue dans le sud à l’âge de 50 ans pour travailler à l’hôpital de Gourdon (ndlr : situé à 9 kilomètres de Nabirat), là où ma mère avait été hospitalisée. En 25 ans, je n’ai jamais oublié la région, j’ai toujours parlé ma langue maternelle, le patois. Ce qui m’a d’ailleurs beaucoup aidé en tant que maire dans mes échanges avec les anciens. On était venue me solliciter plusieurs fois pour me présenter, mais n’y connaissant rien et voulant respirer, j’avais refusé. Et puis un jour, un ancien de la commune est venu me voir et m’a dit : « Bon, moi je vais te dire, tu es l’enfant du pays et tu vas pouvoir prendre la mairie. ». Il ne m’avait pas oubliée. J’étais partie 25 ans mais j’étais toujours l’enfant du pays. Ça a agi comme un déclic. J’ai constitué une liste tout en disant à mon mari qu’on ne serait pas élus. Il n’y avait aucune raison que l’ancien maire ne repasse pas. Sauf, que ça ne s’est pas passé comme prévu.


« J’ai été la première femme élue en tant que maire dans le canton de Domme, et ça s’est passé à Nabirat. Ils n’étaient pas du tout rétro à l’époque. »

Comment avez-vous vécu l’instant de la première victoire ?

Que les gens élisent une femme dans une petite commune comme Nabirat, je n’y croyais pas. J’ai été la première femme élue en tant que maire dans le canton de Domme, et ça s’est passé à Nabirat. Ils n’étaient pas du tout rétro à l’époque. Mais, en arrivant à la maison, je me suis mise à pleurer. J’ai eu peur de ne pas être à la hauteur. J’ai demandé à mon mari ce que j’avais fait et ce que j’allais faire. Il m’a regardé et répondu : « Mais tu vas foncer comme d’habitude ! »


« Une fois élue, on ne peut pas décevoir les gens »

Et quand on s’installe le premier jour à la mairie, comment cela se passe ?

Nous étions six élus de ma liste sur onze conseillers ; parmi les cinq autres, l’ancien maire de la liste adverse. Le premier jour, il était assis à ma place. Il a donc fallu se faire une place. Ça a mis du temps, mais plus que de me prendre de l’énergie, ça m’en a donné. Il n’était pas question de baisser les bras. Une fois élue, on ne peut pas décevoir les gens.


Quelles ont été vos premières prises de décision ?

J’ai commencé par le plus urgent : l’école qui allait fermer. Je suis allée voir Mr Peiro, le conseiller général pour lui faire part de la situation. Il m’a proposé de créer une maternelle. Pour 275 habitants à l’époque, j’ai dû ouvrir de grands yeux. Mais je me suis lancée avec son aide. On s’est beaucoup moqué de moi, certains disaient que ça durerait deux ans. Cette maternelle a aujourd’hui plus de trente ans.


Comment vit-on ces moqueries ou critiques ?

La critique est toujours constructive. Je la prends et je réfléchis. Mais il ne faut pas se laisser avoir avec ça, non plus ! Quand on a un projet, il faut aller au bout. Il est viable ou il ne l’est pas. Mais s’il l’est, il faut aller au bout ! Et j’ai foncé pour ma commune. D’ailleurs mon premier adjoint me taquinait souvent « Toi, il n’y a que ta commune qui compte ». Il ne se trompait pas. Et c’est encore le cas.


« Mon mari le comprenait. Il m’a d’ailleurs beaucoup épaulée, sans lui ça aurait été beaucoup plus difficile »

Plus qu’une ambition personnelle, c’est une ambition tournée vers votre commune qui vous mène.

Politique aussi quand même, mais c’est surtout ma commune. C’est ma grande famille. Je n’avais pas d’enfants, ni de frères et sœurs, ce qui fait que ma commune est tout pour moi, comme l’était mon travail à l’époque. Mon mari le comprenait. Il m’a d’ailleurs beaucoup épaulée, et sans lui ça aurait été beaucoup plus difficile. Et puis, la commune est le lieu privilégié du lien social. On y vit très bien mais on a perdu tous nos services. Et le maire est là pour se battre. Il est le moteur pour développer des structures permettant de recevoir les habitants. C’est un travail quotidien.



· ACTE 3 – DEMAIN, POUR ET AVEC LES AUTRES


Est-ce finalement la fonction d’élue qui a influencé la femme ou l’inverse ?

C’est la femme. Déjà toute petite, quand je voyais comment ma mère vivait, je me révoltais. Je ne comprenais pas pourquoi elle acceptait tout ça. A onze heures, elle quittait les champs pour préparer le repas. Mon père arrivait à midi, s’asseyait à table, mangeait, et puis allait faire sa sieste. Pendant ce temps, ma mère allait faire la vaisselle et soigner les animaux. Puis mon père se levait et appelait ma mère, toute contente de repartir travailler. Et moi, ça me révoltait. Je ne disais rien, parce que je ne pouvais pas, mais je me disais en moi-même que ça ne se passera pas comme ça pour moi.


« Cela reste compliqué pour les femmes de s’engager en politique locale, surtout si elles veulent être maman »

A près de 32 ans en tant que maire, vous avez vu venir les politiques des quotas. Quel regard portez-vous sur la place des femmes en politique aujourd’hui ?

Il y a encore du chemin à faire. Il y a des femmes mais les hommes se croient toujours au-dessus. Et puis cela reste compliqué pour les femmes de s’engager en politique locale, surtout si elles veulent être maman. Elles ne peuvent pas être partout. Et c’est pour cela qu’elles ne viennent pas. Il y a des femmes de grandes qualités que j’aurai voulu intégrer pour la suite ici mais elles ont toutes refusé. L’une « J’attends un autre enfant », l’autre « Il m’a dit que ce n’était pas possible ».


Finalement pour que la femme puisse prendre sa place dans la sphère politique, il est encore question de l’enjeu de la sphère privée à régler ?

Oui. Toujours !


Comment envisagez-vous la suite de votre mandat ?

Un cabinet médical pour conserver aussi l’école. Car quand il n’y a plus d’école, il n’y a plus de vie. C’est pour les jeunes générations que l’on veut faire ça. Les jeunes veulent des services, ça va être très difficile mais on va essayer de se battre.


Et la suite de votre carrière politique ?

Je vais avoir 88 ans le 25 février prochain, mais pour moi, je n’ai pas d’âge. Je n’ai jamais pensé à ça. Il y a un début, une fin. Ça arrivera quand ça arrivera mais pour le moment ce n’est pas mon problème. Du moment que j’arrive à être utile aux autres tout va bien.


« Vivre, c’est penser aux autres ! »

Cette énergie, où la trouvez-vous ?

Je la puise dans la relation avec les autres. Vous savez vivre, c’est penser aux autres ! C’est penser à ce que l’on peut faire. C’est ça la vie, c’est aller de l’avant. Un être humain n’a pas le droit de se laisser aller. A moins que ce soit une question de santé.


Tout au long de notre entretien, vous avez souvent parlé de « bagarre ». Est-ce l’image collée à la fonction de maire ou encore celle du pouvoir ?

Je crois qu’il faut se bagarrer, oui. Le pouvoir ne vient que si on arrive à faire quelque chose. Le pouvoir, on ne se l’attribue pas, ce sont les autres qui vous le donnent.


« Le pouvoir, on ne se l’attribue pas, ce sont les autres qui vous le donnent. »

On a une question au sein du média, « Et si les femmes politiques étaient les influenceuses du monde de demain ?

Les choses iraient plus vite. Parce que les femmes en font plus que les hommes. Elles sont habituées à travailler davantage pour la bonne raison que si elles veulent être reconnues il faut faire mieux que les hommes sinon ça ne va pas. Je le ressens encore ça !



Entretien réalisé par Mathilde Bourmaud



* La loi du 13 juillet 1965 a autorisé les femmes mariées à travailler sans l'autorisation de leur époux et à ouvrir un compte en banque en leur nom propre.

** En tant que Ministre de la Santé (1974-1979), Simone Veil aura joué un rôle considérable au niveau de l’Aide sociale et de la Protection de l’Enfance, de la toute petite Enfance comme en lançant « l’Opération Pouponnières ».


Crédit Photos : archives d'Yvette Vigié, Mairie de Nabirat.



You Might Also Like:
bottom of page