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  • Chloé Thibaud

Confinées, harcelées


Le confinement n'annonce aucun répit au sujet des violences sexistes et sexuelles. Au contraire, la crainte et le risque d'en être victime semble avoir redoublé chez les femmes depuis le 17 mars. La semaine dernière, Marlène Schiappa faisait savoir  qu’ily avait « cinq fois plus de signalements » de violences conjugales « qu’habituellement pendant la période de confinement ». Quant aux femmes vivant seules, le risque zéro n'existe pas non plus. Le cyber-harcèlement persiste même entre amis.




Entre des témoignages de victimes et leur décryptage par la psychanalyste Catherine Lerot-Singer, notre journaliste Chloé Thibaud revient sur ce phénomène. 


Ce dimanche-là, en début de soirée, Roxane* a rendez-vous avec les membres de son groupe de théâtre pour un apéro virtuel. La jeune femme de 28 ans se réjouit : après plusieurs semaines de confinement sans les voir, c’est l’occasion de passer un moment de complicité et de se détendre « entre potes ». En se connectant, elle s’aperçoit qu’elle est la seule femme en ligne aux côtés de ses cinq camarades masculins, les autres filles de la troupe n’étant pas disponibles. A priori, rien de mal à cela. Sauf que très vite, les mauvaises blagues commencent à fuser : « Alors Roxane, tu nous montres tes seins ? ».


Le côté Chatroulette de ce visio ne l’amuse que quelques secondes. « On a l’habitude d’être dans la déconnade mais là, c’est revenu plusieurs dizaines de fois, explique-t-elle. C’était à qui ferait la vanne la plus osée, à qui oserait aller le plus loin, une vraie bataille de coqs. Comme nous sommes tous confinés, ils faisaient des références au fait d’être en manque, du genre “Excusez-moi, je m’absente quelques minutes pour me masturber car tout ça m’a excité !”. Même s’ils se mettaient parfois à faire des blagues entre eux, ça revenait toujours vers moi. Par exemple, l’un des mecs est confiné dans sa maison de campagne. On lui a donc demandé de nous la montrer et puis tout le monde s’est prêté au jeu de la visite. Quand mon tour est arrivé, ils m’ont dit : “Toi, tu pourrais nous la faire à poil !”. Dès qu’ils prenaient la parole, j’étais objectifiée. »


S’il peut être difficile de s’en rendre compte et de l’admettre dans un contexte amical comme celui-ci, ce qu’a vécu Roxane est bel et bien du harcèlement sexuel. En effet, cela « se caractérise par le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (définition de service-public.fr). La réaction de Roxane en témoigne : « Au bout d’une trentaine de minutes, c’était physique, ça commençait vraiment à me tendre. J’essayais de leur faire comprendre en leur lançant des piques mais ça pouvait laisser penser que je jouais le jeu avec eux. À un moment, j’ai montré un agacement plus fort mais je ne suis pas sûre qu’ils l’aient perçu… La communication par Skype faisait qu’on ne s’entendait pas bien, qu’on voyait moins mes joues empourprées, mes sourcils froncés et mes larmes aux yeux. » Les jours qui ont suivi, Roxane s’est sentie « triste, déprimée, trahie et comme arnaquée ». Comment des personnes en qui elle avait confiance ont-elles pu la mettre dans cet état ?


“La période exceptionnelle que nous traversons n’y change rien : il y a toujours des prédateurs et des proies, c’est comme ça.”

En écoutant cette histoire, la psychanalyste Catherine Lerot-Singer la juge « très spectaculaire » et « représentative de ce que nous vivons actuellement ». Le confinement, parce qu’il nous isole les uns des autres et crée de la frustration, peut entraîner chez certains une perte des codes. « On ne doit pas généraliser mais il est évident que ce glissement est davantage masculin… Il y a fort à parier que, dans cette affaire, ce ne soit pas des mauvais gars mais, comme depuis plusieurs semaines ils sont coupés de tout, c’est comme s’ils avaient désappris à se conduire avec une femme, qui plus est une amie. Finalement, un certain nombre d’hommes peuvent penser ces remarques qu’ils lui ont faites, mais habituellement ils ne le diraient pas car il y a une retenue sociale. Le confinement fait ressortir toutes leurs bassesses, toutes les choses les plus triviales. » Cela étant posé, il ne s’agit évidemment pas d’excuser leur comportement mais d’essayer de le comprendre. Notre spécialiste ajoute que « la période exceptionnelle que nous traversons n’y change rien : il y a toujours des prédateurs et des proies, c’est comme ça. Et ces rapports déséquilibrés sont renforcés par les écrans qui nous séparent. Derrière un ordinateur, le cerveau ne distingue plus très bien ce qui est là et ce qui n’est pas là, ce qui existe et ce qui n’existe pas. Cela crée un filtre et peut causer de sacrés dérapages… »


“Même en plein confinement, il y a des gens qui parviennent à pénétrer chez nous et à nous abîmer.”

Il y a l’écran d’ordinateur, et puis il y a le téléphone, qui ne laisse place qu’à la voix. Le téléphone, capable de bouleverser, en un seul appel, le quotidien d’une femme confinée seule. Depuis le mois de janvier, Louise*, comédienne de 28 ans, peine à trouver du travail en tant que voix off. Peu de temps après le début de l’épidémie de coronavirus, un homme l’appelle, un prétendu directeur de casting qui propose de lui faire passer des essais à distance, confinement oblige. Surprise et nerveuse, elle se lance et répond à ses différentes demandes. « Il a vachement utilisé le stress causé par cet entretien surprise. C’était rondement mené, il m’a posé plein de questions sur mon rapport à la voix, les podcasts que j’écoute, ma palette de jeu... Et au bout de quelques minutes, après m’avoir mise en confiance, il souhaite que je fasse une mise en situation : “On va dire que ton mec est chez toi, il est sur le canapé, il ne va pas bien. Je te donne carte blanche, montre-moi comment tu fais pour l’apaiser”. Ça ne me paraît pas scandaleux donc j’essaie, je lui fais un truc à la Petit Bambou. »

Après lui avoir émis quelques retours, le casteur revient à la charge. « Je voudrais qu’on sente que tu es vraiment dévouée, détaille-t-il. Dis-lui de te regarder dans les yeux, mets-toi carrément à genoux devant ton canapé, pour qu’on sente bien que tu es présente. » Louise commence à s’alerter mais, très tendue et portée par son « côté bonne élève », elle poursuit, tout en précisant qu’elle ne se sent pas du tout à l’aise. Finalement, il ira jusqu’à lui suggérer de faire une fellation à cet homme imaginaire et, sentant qu’elle n’est plus du tout dupe de la situation, lui raccrochera au nez. Mais pour Louise, cet épisode est le début de l’angoisse. « Je suis devenue complètement parano. Je me suis imaginée tout ce qu’il pourrait faire avec ma voix, parce qu’il m’a aussi demandé plusieurs fois de boire un verre d’eau, c’était très étrange. Je me suis sentie humiliée et j’ai fait une crise de panique : même en plein confinement, chez soi, enfermée, nous croyant au maximum de la sécurité, il y a des gens qui parviennent, par des mécanismes pervers, à pénétrer chez nous et à nous abîmer. » Ce qui l’a aidé à aller mieux, c’est d’aller porter plainte contre X.

“Pendant le confinement, il faut être d’autant plus vigilants !”

Selon Catherine Lerot-Singer, on aurait tort de penser qu’être chez soi nous éloigne du danger. « On associe le domicile à la notion de cocon mais d’une manière générale, une part importante des viols sont commis chez les victimes, par exemple. Dans ces circonstances exceptionnelles, je crois au contraire qu’il faut être d’autant plus vigilants, ne pas baisser sa garde. » Baisser sa garde… Comme Léa, également âgée de 28 ans, qui se rend en bas de son immeuble pour récupérer un colis après que le livreur l’a appelée. Un livreur qui s’exclame, en la voyant arriver : « Dis donc, il y en a un qui a de la chance ! » Et la jeune femme de lui répondre qu’elle est célibataire, sans avoir le réflexe de mentir pour “se protéger”. « Qu'est-ce que j'avais pas dit là, déplore-t-elle. Il m’a proposé qu’on aille boire un café à la fin du confinement. Quand j’ai dit non, il m’a suivie dans mes escaliers et m’a lancé : “Un corps comme ça, il faut que quelqu'un s'en occupe !". Une fois chez moi, j’ai poussé un soupir de soulagement mais un numéro m'a appelée quatre ou cinq fois. J’ai fini par décrocher, c'était lui ! J'ai bloqué le numéro. Depuis, j’ai peur qu'il revienne… »

Ne pas baisser sa garde… comme toutes celles qui racontent, sur les réseaux sociaux, qu’elles font encore face au harcèlement de rue quand elles sortent faire leurs courses, comme toutes celles qui subissent encore le harcèlement dans les transports en allant travailler. Ne pas baisser sa garde et ne surtout pas croire que le seul virus à combattre en ce moment, c’est le COVID-19.


*Roxane et Louise sont des pseudonymes utilisés pour préserver l’anonymat de nos témoins.


Chloé Thibaud est sur Twitter et Instagram :

Twitter : @chloethibaud Instagram : @chloe_thbd

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