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  • Mathilde Bourmaud

Briser cette chape de plomb, la loi du silence


L’enquête « Confinées, harcelées » menée par Chloé Thibaud en mai a agi comme un catalyseur chez Sganaralle. A 40 ans, cette femme accomplie mère de deux filles et cheffe d’entreprise a décidé de prendre la plume, à travers la rubrique témoignage que nous vous réservons, pour faire part du viol et de la culture du silence qu’elle a subi petite. Une violence sous chape de plomb qu’elle ne cesse de vouloir briser chaque jour qui passe depuis les premiers agissements de son cousin à son encontre. Si aujourd’hui, Sganarelle se dit guérie, cette sombre part de son histoire reste comme une cicatrice de l’ordre de l’intime. Une cicatrice aussi à vif qu’invisible, et qui si elle l’empêche d’accompagner des jeunes filles victimes de violences sexuelles, ne l’empêche pas de faire en sorte que la peur change définitivement de camp. Que la loi du silence s’efface à la faveur de la libération de la parole comme celle de l’écoute.


A la suite de son message reçu et retranscrit ici, nous nous sommes entretenues avec Sganarelle. Regarder, observer, analyser, parler, prêter une attention, le témoignage de Sganarelle à valeur d’expérience comme de prévention.

« C’est le fait de lire l’article « confinées, harcelées » tout en étant confinée et de penser que des femmes et jeunes femmes puissent être enfermées avec leur bourreau qui m’a ramenée au fait que pendant toute mon enfance j’étais confinée dans mon propre cerveau. Et ça, j’en ai très clairement le souvenir ! »


Toute mon enfance j’étais confinée dans mon propre cerveau.

Je suis guérie, mais je n’oublie pas.

"J’ai plein de bonheur aujourd’hui. J’ai plein de moments où je me réalise et où je prends que conscience que j’ai avancé. Je suis guérie, mais je n’oublie pas. Je n’oublie absolument pas. Il suffit d’une respiration … de la respiration de quelqu’un, de l’odeur de quelqu’un… J’arrive encore à ressentir parfois le poids de cet homme sur moi. Je ne l’ai pas complètement éliminé de ma vue, ni de mon esprit. ça ne sortira jamais. Je ne peux pas l’oublier. C’est une cicatrice de l’ordre de l’intime."

Il y a des choses, cachées derrière nos fenêtres qu’on ne voit pas. Il faut regarder, observer, analyser.

Derrière les murs

" Il y a des choses cachées derrière nos fenêtres qu’on ne voit pas. Sur mes photos de famille, on croit que ça va, parce qu’on me demandait de sourire. Mais quand tu grattes, on voit bien que ça n’allait pas. J’avais des plaques d’urticaire partout sur les jambes. C’est un signe déjà que ça n’allait pas. Il faut regarder, observer, analyser. Il faut prêter l'oreille, et oser parler. Il y avait plein de signes. Je n’arrêtais pas. Je parlais, je disais que ça n’allait pas. Mais c’était inenvisageable pour ma famille.

Quand je regarde mes anciens carnets intimes, je commençais toujours mes prières en écrivant « Seigneur Dieu, faites que je m’en sorte mais faites qu’il meurt. ». C’était dur d’écrire « faites qu’il meurt ». Mais je souhaitais la mort de quelqu’un qui m’était proche parce que je souhaitais juste vivre correctement."


Je souhaitais juste vivre correctement

Une main tendue

" C'est mon premier petit ami qui m’a sauvée. Ce fut la première personne avec qui j’ai eu mon premier rapport consenti. Je m’étais toujours dit quelque soit la personne avec qui je serai je lui dirai. Parce qu’il ne faudra pas me faire revivre certaines choses que j’ai vécues par le passé et qui ont été traumatisantes. Laurent a été un soutien parce que je ne sais pas quelle personne j’aurai été sans lui. Je n’aurais peut-être pas supporté de connaitre mon corps comme je le connais aujourd’hui. Je n’aurais peut-être pas mis au monde deux enfants. C’est un passage tout aussi important dans la vie d’une femme. Et ce garçon a été mon sauveur, il m’a soutenue à bout de bras. Il me cachait chez lui pour que j’évite de vivre chez mes parents avec une personne qui m’avait fait autant mal."


Briser la chape de plomb et couper les schémas familiaux

" A 21 ans, j’ai pris le temps d’écrire et de dire la vérité d’abord à ma mère et puis à mon père. Mon père, décédé depuis, en était désolé de ce que j’avais vécu. Il a voulu porter plainte. Mais je n'ai pas voulu. La première raison : je voulais oublier, la deuxième : j’avais honte. 


Quant à ma mère, cela a été assez radical. Elle a coupé les ponts avec toute cette partie de la famille. Et c’est à ce moment-là qu’elle a commencé à me dire ce qu'elle avait vécu dans son enfance. Elle vient d’une famille antillaise où le mari frappe sa femme. Ma grand-mère a eu treize enfants qu’elle ne voulait pas. Elle vivait dans une petite case de 5 pièces. Pour la nuit, les frères montaient et dormaient sur les filles. Et c’est là où ma mère m’a dit, "mais nous aussi ça nous est arrivé". Si seulement, elle m’en avait parlé, je l’aurais su. J’en aurais eu une vision et je me serais dit que ce n’était pas normal ce que je vivais à ce moment-là.

 

Aujourd’hui, je coupe le fil de ce schéma répété en disant à mes deux filles qu’elles peuvent parler. Et elles en auront la force. Je sens que je suis sur la bonne voie. Car quand je les vois aller dans le parc et prendre conscience par elles-mêmes d'une injustice, elles se mettent en avant et disent non. On va faire des générations de filles et de femmes très fortes, très puissantes et présentes. Et je ne suis pas sûre que les hommes soient prêts … »


On va faire des générations de filles et de femmes très fortes, très puissantes et présentes.

Le fils qui a demandé pardon

J’ai demandé à ce que mon cousin me demande pardon, il ne l’a pas fait. Je lui avais donné un an et demi.

Depuis, il a eu une fille et un garçon. Ce dernier m’a appelée il y a quelques mois, me demandant au cours de la discussion pourquoi je n’avais pas gardé contact avec son père. Je lui expliqué que j’avais essayé de le protéger en ne lui disant pas certaines choses. Il a dit qu’il voulait les entendre. Mais entendre certaines choses sur son père c’est une chose, les assimiler, c’en est une autre. Etait-il capable d’assumer le pire comme le meilleur ?  Il a voulu savoir dans les détails. Je lui ai alors tout raconté. Il était désolé et ne comprenait pas pourquoi j’avais attendu aussi longtemps pour lui dire. Je crois qu’inconsciemment j’avais peur qu’il devienne comme son père. Il m’a juré qu’il ne deviendrait jamais comme lui. 

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