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  • Nora Bussigny

Elles sont nos petites sœurs !


Illustration tirée de l'oeuvre "Les jeunes filles" de Tamara de Lempicka
Illustration tirée de l'oeuvre "Les jeunes filles" de Tamara de Lempicka

Nora Bussigny est journaliste et autrice. Etudiante en lettres, elle passe un an, pour arrondir ses fins de mois, comme surveillante dans un collège de banlieue, dans une zone classée «réseau d'éducation prioritaire». Elle y découvre l'Education Nationale vécue de l'intérieur et opère une remise en cause de ses préjugés portant à la fois sur les élèves des cités, leurs parents et le personnel éducatif, que sur la vie elle-même et les rapports entre hommes et femmes. En 2016, elle raconte cette expérience sous forme de chroniques publiées par Le Point, puis dans un livre témoignage: Survaillante, journal d'une pionne de banlieue (éd. Favre, 2018). Aujourd'hui reconnue tant pour sa plume que son regard avisé sur le monde qui l'entoure, Nora Bussigny collabore à de nombreuses revues et est l'invitée de nombreux débats dans les médias.


A chaque nouveau poste du compte Instagram « Nous Toutes », à chaque collage croisé au détour d’une ruelle j’ai peur. Peur de reconnaître le prénom d’une ancienne élève, peur de découvrir son âge. Elles ont 13, 15 ou 17 ans, elles sont mineures et amoureuses, mineures et malheureuses. Et j’ai sans cesse l’impression que l’importance que prend la lutte contre les féminicides vient s’heurter à l’âge des victimes. Si la justice ne reconnaît déjà pas une violence commise dans un couple d’adultes, arrivera-t-elle à classer des « amourettes de lycée » comme des violences conjugales ?

Car l’on a toujours tendance à décrédibiliser l’âge. A minimiser le danger. A appeler des « chamailleries » un harcèlement quotidien, une « querelle d’amoureux » un couple qui se bat. En travaillant dans divers établissements, j’ai pu apprendre qu’on mettait beaucoup de cas de violences sur le compte de la fougue de la jeunesse.

"On mettait beaucoup de cas de violences sur le compte de la fougue de la jeunesse."

Elle s’appelle Sonia, elle avait 15 ans quand tout a commencé. J’ai fait apparaître son histoire dans mon livre, et le Sénat a choisi d’en citer un passage dans son rapport « prévenir et combattre les violences faites aux femmes » de 2018. Persuadée qu’il est normal d’être frappée par celui qu’elle aime, Sonia n’était même pas aux aguets quand son petit-ami a commencé à se montrer violent. Il est vrai qu’elle était habituée, son père avait toujours été brutal avec sa mère. « Il m’aime trop fort » expliquait-elle pour justifier chaque ecchymose. Et comment aurait-elle pu penser autrement ? Aborde-t-on les féminicides en éducation civique ou en philosophie ? Pour son petit-ami, pas de sanction, malgré nos supplications et interventions, Sonia se rétracte et refuse de témoigner contre lui auprès du principal. Et sa mère ne voit même pas l’intérêt d’emmener sa fille porter plainte pour quelques « disputes d’ados ». Sonia a aujourd’hui pu s’extirper de cette relation après deux ans de coups et blessures mais ne fréquente plus d’autres garçons, elle dit même « être sevrée ».

"sa mère ne voit même pas l’intérêt d’emmener sa fille porter plainte pour quelques «disputes d’ados».

Si je déplore comme beaucoup de membres du personnel éducatif l’absence d’ateliers réguliers d’éducation sexuelle, je remercie la ville de Montreuil d’avoir mis en place l’exposition « Viol, un autre regard » qui a libérer la parole de beaucoup d’adolescentes. Parmi elle j’aimerais parler d’Albane. Elle est aujourd’hui majeure mais la relation qui l’a beaucoup traumatisée a commencé alors qu’elle avait 15 ans. Et c’est en visitant l’exposition avec sa classe qu’elle a eu un besoin irrépressible de parler. « Je retrouvais ma voix, c’était comme si je réapprenais à parler ». Adolescente discrète, Albane est tombée amoureuse du meilleur ami de sa sœur, de trois ans son aîné, qu’elle côtoyait depuis l’enfance. Tous avaient grandi ensemble et le fameux Simon était extrêmement inclus dans la vie de famille, les parents étant d’ailleurs ravis de leur idylle. Albane le reconnait, elle avait occulté les attouchements qu’il avait eu à son encontre alors ils étaient encore enfants. Très vite s’érige l’image du couple modèle envié de tous : les amies d’Albane se pâmaient de jalousie que leur amie fréquente un garçon « étudiant » et ses parents avaient toute confiance en Simon. Pourtant, sitôt que la porte de la chambre était close, Albane devenait pour lui une poupée « qu’on troue et qu’on casse », comme elle dit. Chaque rapport atrocement douloureux la traumatisaient, mais malgré tout elle ne pouvait s’empêcher de culpabiliser de ne pas « aimer ». Partagée entre l’envie qu’il la laisse et la peur qu’il la quitte, elle ne vivait que pour les moments passés en société, alors qu’elle pouvait voir dans le regard des autres l’image qu’ils renvoyaient. Simon a fini par la quitter pour une autre, au grand dam de son entourage. Aujourd’hui, même si Albane n’a pas réussi à en parler à ses parents, elle a fini par se confier à sa grande sœur, l’ancienne amie de Simon qui s’est avérée un véritable soutien.


"Ne laissons pas nos petites sœurs ployer sous les coups que nous avons enfin la force de repousser"

Pour toutes les Sonia, les Albane : ne laissons pas nos petites sœurs ployer sous les coups que nous avons enfin la force de repousser, sensibilisons les plus jeunes aux douleurs de leurs aînées. Offrons à cette génération de filles, future génération de femmes une omerta brisée grâce à la libération de notre parole. Ne laissons pas nos bébés dans un coin.

Comment apporter sa pierre à l’édifice et tenter d’améliorer les choses ?

Difficile quand on ne peut / veut pas mettre les moyens pour sensibiliser les plus jeunes générations aux violences faites aux femmes et plus largement au sexisme. Pour moi tout doit passer par l’éducation sexuelle. Il est nécessaire de proposer dès la sixième des ateliers mensuels d’égalité hommes-femmes qui aborderaient de façon adaptée la sexualité, l’amour, les limites à ne pas franchir. Bien sûr, il ne faut pas empiéter sur les heures d’enseignements, il faudrait profiter des heures de vie de classe bi-mensuelles, des heures de permanence fixes ou des pauses méridiennes. L’idée est de libérer la parole de l’enfant pour qu’elle ne se mue pas en des pulsions dangereuses en grandissant. Eveiller sa conscience sans le museler par « gêne » ou « tabou ». De nombreuses associations, des bénévoles ou même des parents d’élèves d’autres classes pourraient organiser ces petites séances mixtes et non-mixtes (les deux sont nécessaires). Les intervenants seraient évidemment encadrer par le pôle psycho-médical de l’établissement pour assurer une bonne tenue de ces sessions.

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