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  • Mathilde Bourmaud

La cr(a)ieuse de la butte : "Etre raisonnable pour demander l’impossible."


Ses mots dessinés à la craie claquent comme des pas sur le bitume. Son écriture enfantine - sa signature - cavale et résonne à travers les escaliers de la butte qu’elle affectionne. Sa butte, ce village…sa bulle à laquelle on accède souvent le souffle court. « Ça monte, hein ? » fut d’ailleurs son premier message offert à même le sol et en connexion directe avec le ciel (vous comprendrez). Une sorte de taquinerie faite aux touristes essoufflés qui viennent découvrir la belle Montmartre et son Sacré Coeur. Cette taquinerie que l’on ressent à travers ses mots. Celle qui vient lui friser les lèvres (et les nôtres) d’un sourire attachant, et remplir son regard d’une bienveillance enveloppante. Malicieuse, vive, créative, tendre, amoureuse, engagée, insolente, libre, humaniste : tel serait l’irrésistible portrait d’Achbé de Ma rue par Achbé, alias Claudie Baudry, poète des mots qui se r(ai)sonnent et s’additionnent… marquant, comme ici, les chapitres de sa raison d’être.

Photo : Michel Coste

Assise à une table au café du Soleil de la Butte – à deux pas de son pré-carré d’expression - Claudie est, me dit- elle, la même femme aujourd’hui qu’il y a 20, 30 ou 40 ans. A une différence près, la personne qui a besoin de s’exprimer aujourd’hui, est nouvelle. Claudie, rédactrice – conceptrice dans la pub depuis une vingtaine d’années après des études en langues étrangères (et un DEA sur l’utilisation de l’art dans la publicité anglo-saxonne) est devenue la street-artiste Achbé, il y a un peu plus de deux ans. Depuis, elle écrit quotidiennement ses messages à la craie, dans sa rue, au pied de son foyer montmartrois. De courts messages tout en contraste entre leur impact et l’écriture cursive qu’ils revêtent. Des sortes de Haïkus, tirés du sol mais rarement au ras du sol qui, à leur lecture, te (re)mettent les pieds sur terre, ou face à un éclair de lucidité, de génie …de réconfort. Les passants et ses voisins s’en amusent, s’y amusent ou s’en émeuvent. Tout comme ses badauds 2.0. Ses comptes Instagram et Facebook « Ma Rue Par Achbé » comptent près de 70 000 abonnés. 70 0000 personnes qui scrollent quotidiennement leur mur, le prolongement de sa rue - à la recherche du message qui marquera leur journée.

« Je suis naïve et je t’emmerde »

Dans sa façon d’être et d’écrire, Achbé n’a pas le temps d’avoir la noirceur additionnée à l’humour. Son mode d’expression est le prolongement de son état d’esprit : révéler le bon, le bien et le beau. « Que la chaleur libère les corps sages » « S’enlacer, ne pas s’en lasser » « Aime moi, Emeus moi » : si à travers ses sorties stylistiques, certains esprits un peu revêches peuvent la trouver trop naïve ou consensuelle, il faut pourtant y voir l’intention d’une street-artiste qui à travers ses vers quotidiens, essaye simplement de nous faire (re)apprécier la beauté de l’évidence. « J’ai écris un jour « je suis naïve et je t’emmerde » parce qu’on peut percevoir ça dans mes messages mais en fait ça ne l’est pas. J’essaye simplement de voir le beau. » Et pas une miette ne semble lui en échapper.

Juchée sur sa butte comme sur un observatoire, Claudie sait aussi cueillir le jour pour être moins crédule le jour suivant. Habituée à deviser l’actualité, elle s’engouffre dans tous les interstices qu’offre un monde parfois aussi dur que ses nouvelles déconcertantes voire désobligeantes : « Donald, ta démence nous désarme », « Le paradis fiscal des uns, est l’enfer des autres », « A combattre sans violence, on en sort Gandhi ». D’une observation, son intuition, Claudie pirouette dans sa tête. Et de sa réflexion, jaillissent les mots comme des saltos. Son mode operandi, vous l’aurez compris, n’est ni plus ni moins que l’amour des mots additionnée au carpe diem. « C’est pour moi profiter du jour et de l’espace qui m’est donné pour m’exprimer sur ce qui ne va pas. C’est une sorte de combat qui vise à améliorer les choses. C’est rendre aujourd’hui, meilleur ». C’est aussi à travers ses mots, rendre hommage à ceux qui s’en vont … et ainsi marquer une dernière fois leur impact à notre passage. Une révérence plus qu’une nécrologie de la part de celle qui n’aime pas la mort surtout quand elle frappe trop tôt. Son message à Simone Veil « Simone s’éteint, les femmes restent en veille » a signé sa reconnaissance et son talent aux yeux du public.

"C’est une sorte de combat qui vise à améliorer les choses."

« La douleur est l’âme de fond de l’écriture »

A travers ses sorties quotidiennes, c’est une crieuse de rue qui nous est revenue. Une crieuse de vie et son dialogue qui a pourtant longtemps pensé ne pas avoir beaucoup de choses à dire. « L’homme de ma vie, me disait toujours : tu écris super bien. Essaye d’écrire quelque chose. » Mais pour écrire des choses intéressantes, il faut pour Claudie, pas encore Achbé, avoir des douleurs, être malheureux. Elle, elle est heureuse. Un mari peintre et dessinateur de presse avec qui elle parle, débat échange sur le monde et l’actualité. Des enfants, des ami.e.s et un job de conceptrice rédactrice qui lui permet de conjuguer la nécessité de travailler avec sa passion de l’écriture. La mécanique est délice. Mais le drame d’une vie, la mort de son mari, va en transformer son roulement. C’est ainsi que nait de son amour perdu, son écriture sur les pavés. Précisément là, où son homme est tombé, terrassé par une crise cardiaque. « Je n’ai pas fait le lien tout de suite mais j’écris là où il est tombé. C’est complétement fou. Je ne suis pas croyante mais l’idée d’un ciel symbolique où se trouverait tous nos morts est assez poétique. Et le fait que mon message soit lisible du ciel, s’ajoute à ça. » Des messages qu’elle signe de leurs initiales liées : Ma rue par Achbé. HB pour Hervé Baudry. Et la rue, le lieu de leur éternel dialogue.

A travers son expression, Claudie répondrait finalement à l’ambition ou son intuition qu’a eu, l’homme de sa vie pour elle. Une de ces éprises manières de lui donner encore la parole même si, elle sait quand il ne serait pas d’accord avec ses accroches. Claudie et Hervé étaient de ces duos - ils le sont encore - équilibrés entre un être plus posé et un électron libre. A Claudie de conclure sur leur lien indéfectible : « Moi je lui dis, si tu n’es pas content, tu n’as qu’à me le dire en face. » Un dernier trait de tendresse et de caractère qui marque aussi la volonté de libre expression d’Achbé, fervente militante contre la censure de tous bords.

« Sale ère d’inégalité pour les femmes »

A travers son art, c’est une femme amoureuse et engagée sur le monde que nous lisons. De ces personnalités qui partent du principe que de ne pas dire les choses, c’est mentir. Un livre à ciel ouvert d’une femme humaniste et féministe qui a conscience de devoir frapper fort pour obtenir un peu. Un peu comme devoir être raisonnable pour demander l’impossible. Parole de Ché !

"Etre raisonnable pour demander l’impossible."

Un peu - beaucoup - comme lorsqu’elle vient en soutien à la cause LGBT ou s’exprime sur l’affaire du violeur acquitté en Irlande car sa victime (de 17 ans) portait un string : « Bienvenue dans un monde où le voleur de nouilles est plus puni que le violeur de femmes. ». Ou lorsqu’elle fait écho à des pétitions portées par des femmes qui l’inspirent : Madeline Da Silva (pour ne citer qu’elle). Ou encore soutenir des mouvements comme la marche #Noustoutes dont elle gonflera les rangs du défilé en novembre dernier : « Qu’après les douceurs conjuguées, ne viennent jamais les violences conjugales » !

Un engagement au féminin qui a pris racine durant sa jeunesse lorsqu’elle prend conscience de la situation dans laquelle se trouve sa mère : sans emploi et ayant le courage de quitter son père. Et une ferme conviction nourrie depuis par les remarques sexistes essuyées dans son travail, et par ce qu’elle lit, voit, entend du vécu des femmes. Beaucoup s’y retrouvent dans l’ engagement de corps, d’esprit et de lettres de celle qui se considère un peu commme leur porte parole. En témoigne, leur encouragement à chacune des publications. Des encouragements à l’image d’une foule se retrouvant pour être entendue et faire bouger les lignes, dans la rue : Ma rue par Achbé. « J’ai bien vu que c’était un vraie lutte. Et ce n’est pas donné à tout le monde de se défendre. Je ne suis ni Marguerite Duras, ni Simone de Beauvoir ou Simone Veil. Je suis une femme simple mais ce que j’ai envie de montrer : c’est que n’importe qui, à n’importe quel niveau peut faire avancer les choses. » Parole d’Achbé !


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