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  • Mathilde Bourmaud

Emilie Vidaud, « Ma légitimité, je la dois à moi seule ! »


Paris, Xème arrondissement

Sa voix et son visage sont connus de la plupart, pour avoir rayonné tour à tour sur France 2 puis LCI. Ses sujets de prédilection sont l’économie et le monde de la tech. Rompue à l’exercice de son métier de journaliste et ses exigences, elle a toujours affiché contrôle, rigueur et précision. Mais depuis novembre dernier, en ressort d’autant plus de passion et de conviction dans son propos, à travers la promotion de son livre. Un livre venant faire écho à toute une génération. Les Millennials ! Elle, c’est Emilie Vidaud, journaliste et auteur de « Social Calling – Le déclic pour agir ». Un livre mené sous forme d’enquête, où elle y dresse les portraits de jeunes gens dont les parcours personnels et professionnels se sont, un jour, rompus pour mieux revenir et agir autrement. Pour mieux répondre aux enjeux de l’actuelle société. Un livre, où Emilie s’y raconte aussi, certes avec parcimonie, mais dont l’essentiel du « je » nous permet de mesurer aussi toute l’envergure de l’engagement entrepris : l’écriture d’un livre mettant en avant les signaux faibles. Et sa force de conviction nécessaire pour y accéder.

Une convaincue et convaincante dont j’avais envie de prendre part à l’ambition et au chemin parcouru pour faire ce qu’elle fait. Etre qui elle est.

Je rencontre Emilie dans un « coffee », à la tendance confidentielle et épurée comme il en fleurit allègrement dans Paris. Nous sommes rive droite, dans le 10ème arrondissement entre les Grands Boulevards et la place de la République. Un secteur symbolique à plus d’un titre où se côtoient entreprises, start up, étudiants, couples et familles. Où se côtoient, mixité, ferveur de vivre, de créer, fêter et rêver. Emilie, c’est le dynamisme parisien. La démarche qui va de l‘avant ou plutôt n’a pas de temps à perdre. Le regard jamais fuyant, et ses mots ponctués de sens et d’action, elle revient sur son histoire parisienne qui commence rive gauche, entre sa minuscule chambre de bonne et les bancs de Science Po.

Elle a 18 ans quand elle arrive de sa région parisienne natale. Et contrairement à bon nombre de parisiens qui finissent par le haïr, le métro est le symbole de sa nouvelle vie qui commence. Active et mobile. Affranchie de toute dépendance, dont celle de ses parents. On l’imagine valdinguer de station en station à la découverte du grand monde parisien qu’elle idéalise et dont elle veut faire partie, depuis toute petite. « Il y avait surtout l’idée de conquérir quelque chose qui ne m’était pas due au départ. J’avais ce fantasme du Paris qui peut rendre tout possible et accessible. » Emilie tisse sa toile sur ce nouveau terrain de jeu. Cette jungle urbaine, dense et cosmopolite où les opportunités de rencontre sont une véritable chance pour celle qui en parle comme de jolis accidents du quotidien. Une sorte de frénésie de l’instant. Une énergie et facilité à vivre la rencontre qu’elle ressent toujours aujourd’hui. Un détonateur essentiel à la suite de son parcours mais intimement liés à son histoire. Familiale.

« Il y avait surtout l’idée de conquérir quelque chose qui ne m’était pas due au départ. J’avais ce fantasme du Paris qui peut rendre tout possible et accessible. »

Une ambition : donner sens à sa vie

Sa mère, infirmière et « maman poule » affairée à la logistique que nécessitent quatre enfants (trois garçons et une fille), est en dehors de ce genre de discussion. Son père, entrepreneur dans l’informatique - les nouvelles technologies d’aujourd’hui - est autoritaire et plutôt misogyne. « Un jour, mon père, m’a dit, tu es une fille, c’est une sous-condition. Il va donc falloir que tu en fasses dix fois plus pour prouver ta légitimité. » Des paroles qui auraient pu être à l’origine d’un découragement certain. Mais pour Emilie, c’est tout l’inverse. Elles vont raisonner comme un moteur hyper puissant, ce même moteur essentiel au boxeur partant se livrer au combat du siècle. Un combat, qu’elle va mener, dès ses 15 ans, dans cette détermination à refuser ce que son père projette sur sa fille : la filière scientifique et ses perspectives bien solides. « Mon père était un mur contre lequel je me heurtais. J’ai du imposer mon choix. » Celui de devenir journaliste. « Rencontrer des gens, raconter leur histoire et être au plus près de la vérité : j’ai eu un déclic quand j’ai rencontré la journaliste venue dresser le portrait de ma famille.» Plus qu’un métier, le journalisme sera le sens de sa vie. Et son ambition, démontrer à son père qu’il a tord.

« Un jour, mon père, m’a dit, tu es une fille, c’est une sous-condition.

Il va donc falloir que tu en fasses dix fois plus pour prouver ta légitimité. »

Un apprentissage

Une ambition qu’elle tiendra fermement. Après ses études de sciences politique, Emilie fait ses classes à l’Institut Français de Presse à Assas. Si l’élitisme que lui renvoient ces grandes écoles viennent chatouiller son sens de la justice, Emilie s’acquitte de sa tâche avant de sauter dans le grand bain. France Soir, Public Sénat, la politique puis l’économie, elle enchaine les postes et les médias comme les métros pour arriver à destination. Un milieu très misogyne où les étiquettes lui collent à la peau. Celle de la jolie blonde. Encore aujourd’hui. « Rencontrer des patrons de médias, des hommes de pouvoir qui restent droit dans leurs bottes restent une rareté ! »

Face à ce sexisme ordinaire, Emilie ne présente pas de grands traumatismes mais plutôt une envie, celle de « secouer le cocotier ». « Je ne considère pas que ma condition de femme m’autorise à être une victime. Mais plutôt une force ». Emilie adopte alors une façon d’être et des attitudes strictes. Toujours de noir vêtue, ni robe, ni jupe, ni décolleté, elle n’accepte aucun diner pour un rendez-vous. Et envoie un ordre du jour bien établi pour préciser la raison de la rencontre. Quand il y a des dérapages, elle rappelle qu’elle est engagée, maintient la distance ou joue la carte de l’humour.

« Je ne considère pas que ma condition de femme

m’autorise à être une victime. Mais plutôt une force ».

La rupture

Des ressorts dont elle va faire preuve alors qu’elle est rédactrice en chef d’un magazine dédié au patron du Cac 40. Spécialisée dans les portraits des grands entrepreneurs, elle côtoie une revue et son environnement professionnel à la fois emplie de misogynie et de rivalité féminine. Un environnement difficile pour la justicière dont elle se revendique. En permanence à contre courant avec l’atmosphère que son job lui impose, Emilie finit par arrêter. Elle quitte son poste. « A un moment donné, c’était trop. La vie était en train de me démontrer que je n’étais pas sur la bonne voie. Ces obstacles peuvent être très durs à supporter mais il faut être à l’écoute de ces signaux. C’est la vie qui nous rappelle que nous ne sommes pas dans la bonne trajectoire. »

Le déclic

Sa trajectoire, elle va la dessiner en croisant celle de ces familles qui dorment de plus en plus nombreuses dans la rue. Et de l’autre, le sentiment d’impuissance des passants face à la situation. Elle a alors un déclic. « Et si nous pouvions tous faire quelque chose à notre échelle ? ». Elle se renseigne et découvre tout un écosystème : l’entrepreunariat social et solidaire. En s’y intéressant de plus près, elle finit par rencontrer Pascal Lorne, un entrepreneur ayant réinvesti toute sa fortune précédemment acquise dans l’action sociale et environnementale. Ce dernier qui, par sms, finira de la convaincre d’écrire sur le sujet de la technologie au service des entrepreneurs et de leur réveil social !

Quelques caractères pour un électrochoc, Emilie dévoue désormais une grande partie de son temps de journaliste indépendante à cette nouvelle mission qu’elle s’est donnée : capter ces signaux faibles et aller à leur rencontre. Ces entrepreneurs, qui dans leur coin, se sont donner pour mission ou ambition, ou les deux, de résoudre à grande échelle et rapidement, des problèmes sociétaux tout en créant des entreprises rentables. Ces marqueurs d’une génération en quête de sens plus que de profits. Un sujet qui passe, il y a encore deux ans, sous le radar et l’intérêt des médias pour qui elle travaille. La journaliste n’a donc pas d’autre choix que de créer son propre support et son propre format. Le livre sinon rien. Une prise de risque où plutôt une vraie intuition quand on ne connaît personne dans l’édition. « Il faut toujours partir du postulat de réussite ! »

« Et si nous pouvions tous faire quelque chose à notre échelle ? ».

Pour agir

En dix-huit mois d’enquête, Emilie interviewe une centaine d’entrepreneurs. En sélectionne dix. Puis part à la rencontre de Jacques Antoine Granjon, le fondateur de l’empire vente-privee, en lui proposant d’échanger avec ces entrepreneurs, pour vivre peut être, à son tour, son social calling. Des parcours croisés qu’elle commence à retranscrire, noir sur blanc de son côté. Sans éditeur à ses côtés. La plupart de ceux qu’elle a fini par approcher, l’intimant plus par la petite tape paternaliste que le profond intérêt . « Il y avait un côté, c’est bien ma petite, continue comme ça, mais ça ne nous intéresse pas. Tu ne connais rien à la vie ». Mais la question de la légitimité qui peut déstabiliser certain.e.s, Emilie ne se l’ai jamais autorisée. « Ma légitimité, je la dois à moi seule. A partir du moment, où j’estime que je le suis et que j’ai des choses à dire, j’y vais ! ». Emilie continue, conviction au poing, à noircir les pages de son livre.

« Ma légitimité, je la dois à moi seule. A partir du moment,

où j’estime que je le suis et que j’ai des choses à dire, j’y vais ! »

Et c’est à la mesure de la son acharnement, que la roue va finir par tourner dans le sens de l’engagement donné depuis. Sophie de Closets éditrice chez Fayard lui accorde, peu avant l’été dernier, tout son intérêt et son enthousiasme sur le sujet. Des valeurs communes qui vont finir par payer et publier, en novembre dernier « Social Calling-le déclic pour agir ».

Et faire réagir

Aujourd’hui, la fierté d’Emilie, ne réside pas tant dans le fait d’avoir le livre dans les mains, mais plutôt dans celui de ne l’avoir jamais lâché. « C’est la fameuse phrase qui dit : si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu ». Mais c’est aussi et surtout la satisfaction d’avoir su faire écho à la génération Millénnials dont les actions, parfois passées sous silence, sont pourtant les marqueurs des changements d’une époque que nous vivons. « Mon rôle en tant que journaliste est celui-ci : réagir et mettre en lumière ces personnes silencieuses. ».

Une satisfaction qui propulse désormais l’ambition d’Emilie Vidaud à faire rayonner le « Social Calling » en accompagnant chaque pays à construire les rôles modèles de la social tech. Cette social tech au service de l’amélioration de nos vies. De station en station, puis de ville en ville, Emilie compte toujours à la mesure de ses enquêtes et rencontres faire parler ses voix silencieuses. Et pourquoi pas, plus tard, être dans l’action concrète de son social calling en construisant une école entrepreneuriale pour des enfants en bas âges, en Asie du sud est.

Une histoire qui n’aurait pu se faire sans être « là où ça se joue » et sans cette ombre paternelle qui lui a toujours intimé d’imposer ses choix et son ambition. D’être celle qu’elle a toujours voulu être !

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