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  • Mathilde Bourmaud

Pendant que d'autres pansent, je pense ...


Crédit photo : Rupert Sanderson

Journal d'un confinement


Le son des cigales. Je snooze. Encore. Je sais, j’abuse. Il paraitrait que c’est contre-productif au fait de se lever du bon pied. A sa troisième tentative, mon réveil finit enfin par m’extirper des fastes de ma nuit. D’un œil qui a encore du mal à faire la mise au point, je regarde l’heure [ 7 H 17 ], quand l’autre s’arrête sur la solution hydro-alcoolique posée sur la table de chevet. Conscience. Je m’étire comme je m’ausculte. Pas de courbatures, ni de fièvre. Et l’odeur encore tiède de mon corps confiné. Toujours rien à signaler.

Comme tous les matins, j’active ma fenêtre sociale qui me relie au temps des autres. Les plus matinaux viennent d’annoncer le jour 17 du confinement. De ma tête encore en mal de lumières, je scroll les dernières nouvelles sur le mur principal, devenu l’artère générale de tous les jours qui passent. Depuis la veille, rien n’a visiblement changé. Soixante-six millions d'épidémiologistes sont toujours en quête de trouver le traitement d'une planète en mal d'être. Leurs points de vue divergent, leurs punchlines assassinent l’invisible et leur humour court toujours les rues. Soixante-six millions d'épidémiologistes qui s’accordent tout de même sur le #RestezChezSoi malgré ce besoin d’air général. Cette nécessité désormais tarifée d’une autorisation de sortie catégorisée. Soixante-six millions de héros que la guerre contre l’invisible sacre chaque jour qui passe.

17. 17 jours que le « bigger than life » que l’on nous vendait à la sauce XXL, n’est plus rien à l’échelle de la légende humaine actuelle.

J’ai toujours eu du mal avec le Miracle Morning. J’ai pourtant essayé de méditer puis de lire à la lumière d’un soleil naissant. Pourtant, rien n’y fait. Mon livre est resté écorné à la page 17. Et mon esprit verrouillé. Sans doute parce que je n’ai rien vu venir ou voulu voir. Du pur déni à force de croire que tout ce que j’avais anticipé allait quand même se tisser comme le coton. Désormais, chaque seconde suffit à dépasser les limites de ma raison, ma singulière existence confinée sur son canapé.

Au livre, je préfère la radio, ce bon vieux poste qui rajoute les bruits de l’ORTF à ceux de BFM. Comme un gout de surannée à la sauce actuelle. Aucune poésie. L’actualité est toujours aussi suffoquante. Je débranche. J’ai chaud. Je ventile mon appartement, devenu mon Burning Man local.


Le silence.

Celui qui me fait entendre le chant des oiseaux comme le cri des oubliés. Ceux qui dorment entassés à 5 dans une chambre de l’hôtel social accolé à mon immeuble et son quartier de (faux) argentés. Aux vieux, aux abîmés de la vie, aux femmes et aux enfants reclus avec leur bourreau, aux sans amours, aux sans amis, aux sans abri, il leurs dit quoi le silence ? « Qu’arrivera-t-il après ce silence ? ». Ma tête flanche à trop penser. Trop d’incertitudes et encore trop d’inégalités dans une situation qui nous logerait soi disant tous à la même enseigne. Le déterminisme social est, lui aussi, un virus oublié.

Celui contre qui j’ai lutté mais qui m’a aussi construite. Ce double je qui me met la pression. « Tu devrais », « Il faut », « Ce serait sympa ». Cet autre qui s’est pris au jeu d’une réorganisation générale de ma vie. Depuis 17 jours, elle me prépare des petits-déjeuners instagrammés. « Mais à quoi bon manger ? », lui dis-je devant mon bol désormais instagrammable. Mon corps ne parle plus la même faim. Non pas que je ne l’y autorise pas, mais il n’a plus ce même appétit. Pourtant je bouge. Je réponds présente aux cours de pilates que mon autre a encore « booké ». Il est tellement insupportable son franglais à la longue. Entre ses « call » et ses « to do », elle s’est érigée en start up locale. Mais elle est toute seule, elle aussi, faut pas croire.

Je bouge… je piétine surtout à descendre puis monter les étages de ma tour. Elle n’est pas en ivoire. Elle est faite de bric et de broc, et de gens entassés (sauf les évadés du mètre carré). Je piétine tellement, que j’ai fini par m’embourber dans les exigences de mon autre, en plus de celles de mon antre. Qu’est ce qu’il ne faut pas faire pour enregistrer les dix mille pas par jour qui nous font soi disant garder la santé ? Et le virus, lui ? ça n’a plus de sens ! Non, le seul sens que l’on pourrait apporter masqué dans un foulard à toute cette histoire de coronarien : c’est la compassion, la protection, la dévotion de tous ces gens qui font.

De la sidération à la frustration d’un corps qui ne demandait qu’à s’extirper de cette réalité, j’ai fini par me disperser en me l’autorisant. L’autre, après avoir fait le point sur tout ce qui compte vraiment dans sa vie : les siens, ses aspirations, sur ce qui va ou pas ; puis rédigé sa liste noire de ses angoisses, a disparu derrière le miroir de ma pièce principale. « Fou moi la paix » que je lui ai crié à midi presque pile. Perso, je ne pouvais plus la voir en peinture avec sa frange désormais trop courte. Les tutos coiffure ne marchent pas sur toutes. Elle n’avait qu’à attendre ! « Comment ils font les autres ? » Lui ai-je dis dans une dernière tentative de garder l’espace qui m’est autorisé.


[ 12 H 12 ] - Le virus de la solitude finit même par frapper les plus entourés. Je voulais tout simplement pouvoir me laisser aller.


Me laisser entrer dans une autre hypothèse d’un autre monde. Celui des mes pensées qui me traversent l’esprit. Je les vois. Elles dessinent tout là-haut des trajectoires. Elles jaillissent parfois telles des boules de flipper. Certaines finissent par se heurter au mur de mon domicile comme d’autres se font la malle par la fenêtre sur cour. Je divague ? Comme je m’évade.

Je m’évade dans l’appartement de mes voisins. Un jeune se grille l’échine derrière son velux, pendant qu’un autre travaille ses flancs à coups de renforcement musculaire. Par une fenêtre aux rideaux (trop) souvent tirés, mon voisin, celui de cinq ans, finit par sortir sa tête, puis ses petites mains. Comme tous les après-midi, depuis 17 jours, il se prépare à son coup du soir. Vingt heures à peine sonnantes, qu’il n’en a plus que pour les soignants.

Il a raison. Ces soignants qui pansent pendant que je pense. Pendant que je me grille une clope sur le balcon. Oui, j’ai repris à fumer. Une de temps en temps pour faire passer le temps, et pulvériser sans doute celui qu’il me reste. N’est-ce pas suicidaire ? Alors que certains sont en mal de poumons, j’exalte de pourrir les miens. Et si le coronarien s’infiltrait par la bouffée que je tire en moyenne toutes les trente secondes. J’ai calculé, fumer une cigarette occupe trois minutes de mon temps, comme il m’en retire sept. J’écrase.

Mais je les entends encore mes pensées. Je les écoute même. Dans la désordre, mais ce n’est pas un problème. Elles brassent et me balancent des éventualités. Elles me font revenir sur le passé #DéfiRelevé. Ces moments jubilatoires d’antan, ici et là-bas. Sur ce que font, et ce que sont les autres. Dedans, il y a toutes mes qualités et les vôtres. Entre vous et moi, je me demande bien si Alain Delon, il signe au « il » son autorisation de sortie.


Il n’y a pas encore d’avenir dans mes idées. Seulement de grandes hypothèses. Jour 17, il est encore trop tôt pour se prendre à rêver quand tout a valdingué.

Je ne rêve pas, je divague. Je crée mon autre réalité pour ne pas perdre la tête. C’est ma seule injonction. Perdre la tête comme ceux qui se laisseraient happer par l’envie d’embrasser à bouche que veux-tu tous les individus de la rue d’en bas. Comme ceux qui laissent enfermées vingt jeunes femmes dans la fuite en avant du roi. Comme celui qui distribue des uppercuts sous prétexte qu’il est boxer et que sa femme est KO.

Non, divaguer, ce n’est pas tout foutre en l’air. C’est réussir à mettre des mots sur mes images d’aujourd’hui. C’est s’autoriser, une fois, d’être tête en l’air pour enfin faire entrer la beauté dans le chaos. Laisser aller et venir ses idées, les seules, ces veinardes, à pouvoir se rencontrer, tisser des liens entre elles comme elles joueraient à la ronde.

[17 H 17 ] - Désormais, je vagabonde.

Comme me soufflait dernièrement un compagnon d’infortune 2.0, « Il faut parfois divaguer à l’excès pour revenir dans l’axe » … comme pour nous sortir de l’absurdie générale d’antan, de ses pièges rationnels et de ses décisions prises sans être interrogées.

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