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  • Mathilde Bourmaud

Alix Benezech, pygmalionne parce que libre : « La liberté, cette nécessité intérieure »


Elle incarne l’infirmière Dorothée Aries dans la série médicale Nina diffusée depuis cinq saisons sur France 2. On l’a découverte en femme flic auprès de Tom Cruise dans le film Mission Impossible Fall Out… ou dernièrement sur les planches dans le rôle de la jeune première Lydia Languish de la comédie Les Rivaux. A 28 ans, l’actrice Alix Benezech, multiplie les compositions comme elle en explore les personnages, leurs contours et leurs complexes vérités qui les font s’exister. Dans Pygmalionnes, film documentaire de Quentin Delcourt qui pense les femmes du cinéma non plus comme des muses, mais comme des mentors, on s’approche cette fois de son propre rôle et de sa vérité intérieure. Cette vérité qu’Alix nous témoigne plein écran à propos d’un milieu, le cinéma, et d’une mission, actrice. Sa mission qu’elle s’est donnée ou plutôt qui l’a trouvée …à l’instinct…comme un rôle qui n’a que pour principe, la liberté d’exister.


Cette liberté qui prendrait sens dans cette volonté de se refuser à l’assujettissement, l’asservissement, ou bien l’enfermement. De ces rôles, carcans et contraintes dans lesquels on a voulu glisser trop souvent les femmes sous l’œil de la caméra comme à la botte d’un réalisateur tout puissant ou peu bienveillant, d’un directeur de casting méprisant, des stéréotypes liés au genre. De ces cases, dont certaines estampillées désormais #metoo ne se chuchotent plus une fois le clap de fin mais se dévoilent désormais au grand jour pour mieux s’en affranchir et rebondir. A l’image d’Adèle Haenel, en novembre dernier. A l’image de ces onze femmes du cinéma français, Les Pygmalionnes, (scénaristes, réalisatrice, agente, directrice de la photographie, exploitantes et actrices) et dont les témoignages se répondent sur grand écran depuis quelques semaines. Des réflexions de femmes et professionnelles venant faire écho à notre existence tant le milieu dépeint, ici, est le reflet d’une société que nous partageons.


Parmi ces témoignages qui interpellent, celui de l’actrice et citoyenne (l’une ne semble plus aller sans l’autre), Alix Benezech : « Je ne me suis pas laissée faire, tout simplement. (...) Ça ne m'a pas paralysée, et ça ne m'a pas fait abandonner. (..) Je me suis dit : si j'arrête ce métier, je meurs. OK, ça se passe comme ça, mais ma vérité est différente. Et c'est ma vérité que j'ai envie de continuer à cultiver." A travers cette témérité exprimée et incarnée avant d’être revendiquée, se glisse chez Alix une passion en première loge ou plutôt une catharsis. Qui serait arrivé par hasard dans ce métier où du don de soi, du vécu et de son expérience, on en tire le jeu ? Ce jeu du je qui bénéficie aussi bien à la profondeur du personnage incarné qu’à l’œuvre plus générale. Cet univers qui bien plus qu’une catharsis à joué comme un catalyseur dans l’existence d’Alix.


"Si j'arrête ce métier, je meurs"

Instinctivement. « J’ai toujours pensé que le théâtre pouvait avoir une place importante dans ma vie, de façon instinctive. » Ce même instinct qui lui fait dire quelle ligne directrice suivre ou par laquelle s ‘enfuir quand elle est prise dans les mailles d’un réalisateur malveillant dont le pouvoir « heureusement » était plus de la nuisance que de l’influence. Cette fameuse question du pouvoir dont le monde du cinéma se joue des autres et fait vaciller leurs réalités. Ce pouvoir à l’état de nuire et détruire des femmes de l’intérieur et leur carrière. « C’est ça la vraie question aujourd’hui. La question du pouvoir. On est complétement au cœur de ça et c’est ça qui est triste. Une personne qui a le malheur de tomber sur ce type de personne, cela va être bien plus compliqué pour elle par la suite ». Pouvoir, manipulation, et perversion, c’était en 2011 et 2012. Alix en subira aussi les fausses rumeurs colportées par une consoeur comme une tentative de déstabilisation en plein tournage. La sororité versus la fausse réputation ou tout simplement la peur, chacun tente de trouver son camp dans ce vaste champ des vérités et de la capacité à les accepter. Mais Alix Benezech continue à cultiver la sienne. Tout cela n’a jamais véritablement entaché sa liberté dêtre.  Je ne laisserai rien, n’y personne m’empêcher d’être libre. Rien !» Au contraire, l’inexpérie«nce de début de carrière - d’aucuns parlerons de naïveté, d’autre de confiance en l’humain - a laissé place à une certaine capacité dont les contours ont évolué vers une forme de résilience. « Quand on sait que la perversion leur appartient et qu’il n’y a rien de personnel. Quand on comprend ça, on prend du recul, on ne réagit pas mais on s’affirme. C’est ça que l’on doit faire comprendre aux jeunes femmes : s’affirmer ! »


"C’est ça que l’on doit faire comprendre aux jeunes femmes : s’affirmer !"

Liberté chevillée au corps.

Pour comprendre cette capacité à voir au-delà, il faut revenir à son enfance. Celle qui file Outre-Rhin et où Alix passe les neuf premières années de sa vie. Alix en retient son premier sentiment de liberté qu’autorise la candeur de l’époque. Mais aussi de sécurité. « Très petite je pouvais aller seule à l’école ce qui est impensable aujourd’hui. Il y avait une responsabilisation des autres. Ça m’a donné énormément confiance. » Elle est une enfant qui ne soucie pas de ce qu’elle renvoie. Elle est qui elle ressent être sans doute parce qu’elle est allée chercher très tôt qui elle était. De cette conscientisation des choses et de son être, ses parents en sont les instigateurs. Ils lui ont laissé très tôt le choix d’être et la responsabilité que cela sous-entend. A 8 ans, Alix est en âge de s’engager dans une religion, si elle en veut une sur laquelle s’appuyer. « Vouloir avoir raison, imposer son point de vue, cela m’étonne parce que ça m’est étranger. J’ai grandi avec l’idée que chacun avait sa place. Que le physique n’avait pas d’importance. »


A l’inverse, de retour en France, en Alsace, Alix découvrira une toute autre réalité.  Elle subit le harcèlement de ses camarades pendant deux ans. « On me disait sale allemande, t’es grosse, t’es qu’une merde ». Le lynchage orchestré est d’une violence qui dépasse parfois même les mots. La fracture est vive pour l’adolescente qu’elle est devenue. « Pendant longtemps, je me suis sentie coupable parce que je pensais que c’était mon être, qui j’étais, qui n’était pas acceptable, le fait de ne pas être normale ou comme les autres. ». Une période qui l’a amenée à chercher à sauver sa peau pour vivre dans une forme de tranquilité. Et c’est ici que prend toute l’importance du théâtre dans sa vie. Il l’a même sauvée en exorcisant et extériorisant le mal enduré, mais surtout en révélant sa vérité intérieure, aux autres, ses harceleurs alors dans le public d’une représentation de fin d’année. « Ils m’ont vue autrement, différemment. Et ils ont adoré. Je me suis dit le théâtre a un pouvoir salvateur. Une forme de catharsis. » Alix n’aura jamais été dans la haine ou la vengeance de ses harceleurs. « Mais je n’avais jamais pris conscience qu’à chaque fois que j’ai été attaquée, diffamée, ou que l’on est cherché à me nuire c’est cette liberté là qui était attaquée. Ce n’est pas facile d’être libre, en fait ! » Impossible ou difficile à saisir, en effet, si la liberté vous effraie ou si l’on tenterait de l’attraper pour la ranger sous le couvert de nouvelles injonctions et l’y cantonner.


"Je n’avais jamais pris conscience qu’à chaque fois que j’ai été attaquée, diffamée, ou que l’on est cherché à me nuire c’est cette liberté là qui était attaquée."

Mission impossible, pas son genre.

S’y cantonner ou la dépasser pour aller au delà de ce que son genre et les codes lui autoriseraient dans la vie comme sur scène. Alix commence le théâtre en distribuant des rôles d’homme. Si au temps de Shakespeare, les hommes jouaient les rôles de femmes le temps qu’elles puissent investir la scène, pourquoi ne pas faire l’inverse à l’époque contemporaine ? « Là aussi c’est la liberté. Je n’ai jamais voulu être soumise à une quelconque injonction de genre ou de ce que je pouvais être. Et ça c’est une grande force. » Pouvoir et vouloir tout explorer comme un enfant. Dragon un jour, princesse le lendemain. Alix se découvre en même temps qu’elle joue. La fascination. « C’est pour ca, que je suis toujours un peu attristée de voir une forme de métier qui est en train de se poindre, où l’on critique des actrices en disant ce n’est pas normal qu’elles jouent ce rôle parce qu’elles ne sont pas comme ça. » Alix parle ici de Scarlet Johansson et les critiques qu’elle a pu subir à l’idée qu’elle incarne un homme transexuel. La réflexion que pose Alix se trouve d’ailleurs dans le caractère essentiel à ce que l’on propose aux hommes comme aux femmes trans des rôles pas uniquement liés à leur transidentité « On ne décide pas de définir un personnage par son genre, par sa religion. On aura fait un grand pas quand on aura dépassé ces questions là. Sortir des cases ! »


"On ne décide pas de définir un personnage par son genre, par sa religion."

Sortir des cases comme celles attribuées aux rôles qu’on lui prétend. Alix y prête une attention toute particulière. Du rôle de femme flic dans Mission Impossible Fall Out, à celui de Dorothée, l’infirmière dans la série médicale Nina, Alix s’infiltre dans chacun, s’immerge apporte l’épaisseur tout en repoussant parfois les frontières ou contours qui leur ont été données. Elle incarne, y donne de soi comme de son engagement féministe et sa conscience du monde qu’elle explore à travers son je(u). « Je suis dans cette recherche de la complexité. Je veux d’ailleurs rendre hommage aux femmes derrière Nina : Laurence Bachmann (la productrice), Brigitte Sabban Weyers Anne Felotti, Christine Palluel, Anne Lise Hesme, Thalya Rebinski et toutes les autres qui m’ont permis d’amener cette complexité chez Dorothée ». Cette recherche de la complexité qui apporte sans nul doute de nouveaux rôles modèles sur qui s’inspirer. Ce champ des possibles à qui voudra bien regarder et s’en faire écho dans la société en mouvement.


Engagement vs Féminité

Un peu comme le jour, où lors de la sortie du film Que justice soit nôtre qu’elle a co-réalisé en 2014 avec Jean-Pierre Delépine et dans lequel elle incarne une jeune femme engagée contre les violences faites aux femmes, une association féministe lui répond que sa poitrine généreuse dessert le propos. Un peu comme le jour où une agente lui rétorque « qu‘elle lui fait peur » sous prétexte qu’elle est aussi investie qu’elle sourit tout le temps. Comme si sa liberté d’être  sexy et féministe était antinomique. « Te dire comment tu dois être pour avoir telle ou telle idée ce n’est pas une pensée de liberté, c’est une pensée autoritaire. C’est une forme de dictature. »

Et si en Alix Benezech se cachait l’ingénue et provocante Juliette de « Et Dieu…créa la femme ». La BB des années 60 qui incarnait pour la première fois au cinéma, une femme exprimant son désir à l'égal d'un homme. Une femme libre de son corps et affranchie de tout sentiment de culpabilité, de tout tabou imposé par la société. Cette femme, son actrice et son mambo qui ont bouleversé les mœurs de l’époque. « Pourquoi a-t-on peur de la véritable féminité dans la vie ? Pourquoi nous en n’aurions plus peur quand c’est un produit sous le contrôle d’une économie ? »


« Te dire comment tu dois être pour avoir telle ou telle idée ce n’est pas une pensée de liberté, c’est une pensée autoritaire."

Pygmalionnes et créatrices

De cette légende, la femme appartient à l’homme comme l’actrice au réalisateur, ne pourrait-on pas finalement penser autrement ? Alix, le confirme. « Au cinéma, on essaie d’être dans le mouvement de la société. On est dans une création perpétuelle où il n’y a pas de moral, ni de jugement et de pensée unique. On est dans une recherche ! » Comme aller chercher chez les unes, à l’image de toutes ces pygmalionnes, ce qu’elles sont en elles, plutôt que ce qu’elles n’ont pas ou ne sont pas, un homme. En les laissant libres de prendre à bras le corps le rôle qu’elles ont à jouer et qu’elles veulent jouer dans cette société du cinéma comme dans la société qu’elles peuvent déterminer. « Les femmes sont pleines de ressources. Leurs rôles ont toujours été décisifs. On le voit dans la création du cinéma narratif avec Alice Guy. Elle a été effacée de l’histoire à l’avantage de Georges Méliès. On n’a pas besoin de cette infériorité. Nous sommes nos propres pygmalionnes, indépendantes et affirmées. »


Rendre à CésarE ce qui appartient à CésarE ou cette autre ambition d’une (cré)actrice née, Alix Benezech !

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