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  • Mathilde Bourmaud

Sofia, 39 ans "Dans mon imaginaire la ville m’appartient, mais dans la réalité de la rue c’est


Barbès - Montmartre - Paris 18 ème

La transmission d’une ambition et son parcours citadin pour y accéder. Entre Barbès et Montmartre, LES AMBITIEUSES est allée à la rencontre de SOFIA, 39 ans. Avec pour croix du sud, le Sacré Cœur, la jeune femme nous livre sa croisade parisienne, celle qu’elle mène depuis plus de 20 ans : de l’Outre Périph’ et son enfermement du corps, à la recherche de son identité et d’une nouvelle féminité. Une ville et ses quartiers que Sofia a pu arpenter librement et faire siens à travers la littérature et le cinéma de François Truffaut, puis son métier de reporter. Comme si expérimenter son corps en tant que femme dans la rue était encore difficile. Comme si le filtre de la fiction ou du reportage, lui en avait permis plus de possibles dans sa pratique et appréhension citadine. D’une ville rêvée, vécue et aujourd’hui racontée dans son prochain roman : Sofia s’inscrit dans une volonté de marquer définitivement de son empreinte Paris et sa société. D’y faire ses 400 coups !

A travers la série Les Ambitieuses, je vous fais part, depuis quelques semaines, de mes rencontres citadines. Certaines d'entre elles ont jalonné mon parcours parisien qui débutait il y a tout juste quinze ans.

J'ai rencontré Sofia il y a 9 ans, par le biais d'une connaissance. A cette époque, nous sommes plus préoccupées par notre carrière journalistique que par toutes autres choses. Sofia est reporter à la radio et arpente les villes africaines comme européennes, son nagra en bandoulière. Seules quelques bribes de son parcours personnel alimentent nos échanges, comme des cailloux dont je parviendrai quelques années plus tard à former le juste chemin parcouru. Car comme pour mieux se protéger, Sofia sait user d'une dérision et d'un humour naturel voire redoutable. Une sorte de voile de pudeur qu'elle dépose délicatement entre elle et les autres et que seuls le temps et la confiance parviennent à ôter.

L'été dernier, les coïncidences de la vie nous font nous retrouver au Café du Commerce du coin. La discussion est évidente. Sans filtre. Comme si chacune avait suffisamment fait son chemin pour enfin oser parler d'elle-même et de son aventure féminine. Face à Sofia, je me retrouve devant l'évidence: la transmission d'une ambition et son parcours citadin pour y accéder.

Une enfance irrégulière

Il faut revenir aux premiers jours de Sofia, au printemps 1978, pour prendre la pleine mesure de son chemin parcouru et de son énergie déployée pour repousser le fardeau transmis dès son berceau. À sa naissance, comme son prénom l'indique, Sofia n'est pas un garçon. Une fatalité pour son père qui ne voit pas en ce nouveau-né la fierté espérée. Tant attendue dans la tradition kabyle. Une déception qu'il tentera de dissiper en envoyant Sofia à l'âge de six mois en Algérie, à 200 kilomètres de Tizi Ouzou, pour quelque temps. De retour en France et suite à un concours de circonstances propres à ses parents, Sofia se voit confiée à l'Assistance publique. Une procédure de placement volontaire. La petite fille âgée de deux ans va alors connaître la pouponnière, les familles d'accueil et les foyers.

De cette enfance irrégulière, Sofia n'en garde qu'une suite d'images. Une suite de lieux, où il est difficile pour elle de laisser son empreinte. De s'inscrire.

Aux prémices de l'adolescence, ce combat de l'existence s'intensifie. Chez la grand-mère maternelle, ce huis clos féminin qu'elle intègre, on y surveille son comportement. À la maison comme dans la rue. Il faut être une fille bien et bonne marier. Elle y connaît l'enfermement du corps. Des principes liés à une culture du sud que Sofia ingère inconsciemment et dont il est difficile de s'affranchir. Encore aujourd'hui.

Dans cet outre périph', Sofia piétine, s'ennuie. Elle tente de s'en évader en lisant et en écoutant la radio. De jour comme de nuit. La liberté par procuration.

"À la maison comme dans la rue. Il faut être une fille bien et bonne marier.

Elle y connaît l'enfermement du corps."

La découverte du monde extérieur

Grâce à la radio, qui l'a élevée, Sofia sait désormais ce qu'elle peut vivre. Ailleurs passé le périph'. A 16 ans et demi, elle commet sa première fuite parisienne. Une fugue qui l'amène tout droit Place de Clichy. Un quartier non dénué de sens, pour celle qui voit en François Truffaut, le cinéaste de la Nouvelle Vague, son père. Dans "Les 400 coups", film sur l'enfance irrégulière, qui se déroule entre Pigalle et la rue des Martyrs, Sofia n'a pu que s'identifier à Antoine Doinel, cet autre enfant en manque d'amour. À la frontière de ce que Cocteau appelle la fin de l'enfance et le début de la jeunesse. Sofia était dans cette minute-là. Il était temps qu'elle vive aussi ses 400 coups.

De séjours irréguliers en incartades parisiennes, elle flirte alors avec Paris, son adolescence, ses quartiers, ses monuments, son atmosphère. Tous les samedi matin, gare de l'Est, au retour de soirées où elle découvre la french touch et la musique électro, elle se laisse happée par le Sacré-Cœur, devenu dans son désert familial, sa croix du sud. Un jour, elle vivra ici.

"Elle se laisse happée par le Sacré-Cœur, devenu

dans son désert familial, sa croix du sud. Un jour, elle vivra ici."

Paris, le salut –Barbès son berceau

En manque de repères et d'une histoire, Sofia a fini par construire les siens en réunissant dans la trame de son roman personnel les piliers qui l'ont élevée: la radio, la littérature et François Truffaut. Elle s'installe à Paris, frappe à la porte de Radio France, y fait ses premiers pas et reportages. Micro à la main. Une manière aussi de vivre et évoluer dans la vie comme dans la ville quand l'expérimentation du corps féminin reste encore difficile dans la rue. Quand le principe de la ville pour les hommes revient au galop. Car les codes dits de bonne conduite féminine légués et ingérés plus tôt, sont difficiles à laisser de côté. Le filtre de l'imaginaire, comme de la littérature, sont aussi ses guides et ses béquilles à son immersion parisienne. À travers le rêve et le désir, Sofia sait contempler et se réapproprier la ville quand la réalité de la rue le lui empêcherait.

Aujourd'hui, installée entre Tati, qu'elle surnomme le Tatillywood et le Sacré-Cœur, elle aime aussi découvrir au fil des rues arpentées, les contes et les croisades, que réunit en son sein Barbès. De la petite bonne d'Emile Zola venue vivre son émancipation tout en gagnant son pain, à celle d'une immigration plus récente. La sienne. Ce quartier, c'est son histoire et il représente son absolu. Elle y a trouvé sa place, s'est réinventée pour s'inscrire définitivement à travers ce qu'elle entreprend aujourd'hui.

"Le filtre de l'imaginaire, comme de la littérature,

sont aussi ses guides et ses béquilles à son immersion parisienne."

L'empreinte manuscrite

La seule chose dont elle a finalement hérité de son père, est cette phrase: "François Dolto disait que tu serais écrivain". Une phrase perçue pendant longtemps tel un mensonge pour Sofia. Voulait-il lui faire plaisir ou atténuer son absence? En entreprenant récemment des démarches pour reconstruire son histoire marquée par le silence et les non-dits, elle a entrouvert ses archives gardées précieusement par l'assistance publique. Dans son dossier tout y est inscrit dont les observations laissées par Françoise Dolto et ce qu'elle visionnait pour la petite fille de l'époque. Pour Sofia qui se posait la question de sa légitimité à l'écriture, la phrase de son père résonne enfin comme une vérité et un encouragement. Elle peut désormais assumer cette ambition à laquelle elle s'essayait: son roman! Un roman qui raconte son Paris en prenant place à Barbès, et prend vie dans le corps d'un petit garçon. Sofia aurait tant aimé en être pour que son père l'aime.

Sofia allait faire partie de l'aventure des Ambitieuses et me donner rendez-vous à Barbès, le carrefour stratégique de sa vie où son ambition enfin assumée donnerait naissance à une nouvelle féminité, et son empreinte manuscrite sur la vi(ll)e et sur la vie. Celles de tous les possibles!

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